Parcs à fabriques réduits à un seul monument

grotte de la Folie Saint-James en contours

 

La Folie
Saint-James

" À beau dard noble but " (1)


histoire
vues
visites

plan d'époque
  

 


La Folie de Baudard de Sainte-James
 

Claude Baudard de Sainte-James (1738-1787) (2) participait de la haute finance; il était en premier lieu Trésorier général de la Marine. Il avait réuni depuis 1772 des parcelles en bordure du Bois de Boulogne et lorsque son voisin le comte d'Artois eut aménagé Bagatelle, il voulut rivaliser avec lui (3). Baudard confia au même architecte, François Joseph Bélanger, le soin de réaliser quelque chose d'encore plus étonnant(4).

L'aménagement commença en 1777 sous la direction probable de Jean-Baptiste Chaussard. Le parc s'étendait des deux côtés de l'avenue de Longchamp (voir les plans actuel et d'époque); les parties communiquaient par deux souterrains. Un canal aux multiples sinuosités parcourait le parc, avec une profusion de ponts, de grottes et autres fabriques, dont un pavillon chinois et un kiosque chinois sur un bac flottant dans la pièce d'eau. Le domaine comportait une extension vers la Seine. L'eau alimentant les canaux y était pompée par une "pompe à feu".

Une partie réduite du parc est conservée, à l'arrière de la folie, bâtiment d'habitation qui dépend aujourd'hui du lycée de Neuilly.

folie de face

folie détail

La folie



C'est un lieu charmant, mais avec la meilleure volonté du monde je n'ai pu y ressentir l'esprit de l'époque. L'espace actuel, correspondant grosso modo à la partie la plus raffinée autour de la folie, est trop réduit et totalement enclos dans le bâti urbain dont aucune perspective ne permet de s'abstraire.

La grotte est la seule fabrique notoire subsistante. On peut l'admirer en entrant dans le parc.

La description ci-dessous correspond à l'état avant 2005 - en attente de la rénovation à l'étude, les fabriques sont protégées par des grillages.


 

Vue d'ensemble de la grotte

 

Vue d'ensemble de la grotte



Grotte

grotte

La grotte



grotte détail

grotte détail

Le portique dorique



Il subsiste également le "grand pont de pierres de taille", enjambant une dépression allongée, reliquat de canal. Les pièces d'eau et les autres canaux ont été comblés; ils étaient devenus inutiles et malsains, lorsque les pompes de puisage tombèrent en abandon. Du temps de la splendeur du parc, l'eau jaillissait de la grotte, des deux buses visibles de part et d'autre du portique à colonnes doriques et des massifs latéraux. Bélanger avait projeté de la faire couler en éventail du sommet de la rocaille, comme le montre un de ses croquis. D'autres la montrent jaillissant en jet d'eau des massifs latéraux, mais les buses correspondantes ont disparu.


Pont de pierre

Arrière de la grotte

    Le pont de pierre   -   Arrière de la grotte (qui servait de salle de bains)(5)



Au rang des restes mineurs on voit la "colonne antique", replacée dans le coin nord-ouest du parc et le long du lycée deux vases en pierre qui ornaient un des ponts. On trouve également deux groupes de blocs de pierre moussus; l'un, entre la folie et le pont de pierres, serait le reste du "pont au dessus d'une chute d'eau", sur l'emplacement d'origine.


 

Colonne antique

 

La colonne antique



Dans la Villa de Madrid, rue privée perpendiculaire à l'avenue de Madrid au nord du parc, se trouve un petit pavillon assez délabré, de plan carré, au toit en verrière conique surmonté d'une flamme en tôle. Son intérieur est splendide, c'est le cabinet d'histoire naturelle de la folie, dit " la chapelle " car il fut utilisé à cette fin lorsque la folie fut transformée en maison de repos neuro-psychiatrique. Les vieux habitants du quartier l'appellent encore ainsi car elle servit de nouveau au culte voici quelques décennies. On peut le voir de l'arrière en se rendant rue du Général Henrion Bertier. Il ne reste rien des autres fabriques, en particulier du pavillon chinois situé au milieu d'un lac.


 

Cabinet d'histoire naturelle

 

Le cabinet d'histoire naturelle, dit "la chapelle"



Le parc comprend d'autre part un temple de l'Amour qui est une addition tardive de 1925. Ses cinq colonnes ont été récupérées du souterrain de Bélanger (voir le paragraphe "bassin" dans la page du plan d'époque). Avec sa calotte noirâtre et globuleuse il est bien moins réussi que le petit jardin art déco dont il orne la perspective.


 

Temple de l'Amour

 

Le temple de l'Amour (de 1925)


 

L'issue fatale
 

Comme la plupart de ces financiers titulaires de charges publiques, Baudard de Sainte-James menait en parallèle d'autres affaires. L'ensemble le conduisit à la faillite (6). En 1787 ses biens furent saisis; il mourut quelques semaines après, anéanti par sa déchéance (7). Le duc et la duchesse de Choiseul-Praslin achetèrent la folie à bas prix (8).

La suite de l'histoire de la folie est celle du déclin inéluctable d'un domaine privé trop proche de Paris pour être préservé du dépeçage. Les lotissements successifs le rognèrent par pans. Un sursaut de gloire intervint dans les années 20, quand les Lebel rénovèrent le domaine : mais ce fut aussi l'occasion de supprimer plusieurs reliquats (la glacière, le kiosque de la rue ...) qui sous d'autres auspices auraient pu être sauvés. C'est aux Lebel que l'on doit le charmant petit jardin art déco terminé par le temple de l'Amour.

 

Localisation, visites
 

La folie est au 34, avenue de Madrid, à Neuilly-sur-Seine, 300 mètres au sud de la station de métro Pont de Neuilly. Le bus n° 43 s'arrête pratiquement devant (arrêt rue de Madrid). C'est le site le plus accessible depuis Paris.

mise à jour 2016 : après plusieurs années de fermeture en raison de la reconstruction du lycée contigu, le parc est restauré lien externe


Le parc est ouvert tous les jours au public de 10h00 à 19h00 en été et jusqu'à 17h00 ou 18h00 en hiver selon la tombée du jour. (avant les travaux de rénovation du lycée, le parc n'était ouvert au public que le week-end et pendant les vacances scolaires).

Les visites de la grotte qui avaient lieu le mercredi à la belle saison ne semblent pas avoir repris. Se renseigner à la mairie de Neuilly lien externe tél. : 01 47 47 47 40.

Note photographique : la grotte est tournée vers le nord. Elle se trouve à contre jour toute l'année, donc impossible à photographier avec un contraste satisfaisant. Toutefois aux alentours du solstice d'été le soleil est au nord de l'aplomb de la façade à son lever et à son coucher. Il faut se rendre sur place en juin ou juillet. Le conseil que je donnais, d'y aller de préférence avant 9 heures du matin ou, éventuellement, après 19 h 30 n'est plus compatible avec les horaires actuels.



Bibliographie
 

Paru à l'été 2001 :
de Madame Gabrielle Joudiou « La Folie de M. de Sainte-James »   -   éditions Spiralinthe, ISBN 2-913440-09-6


Mes plus vifs remerciements à M. Philippe Baudard de Fontaine, proche descendant de Claude Baudard de Sainte-James, pour la communication de son étude (non publiée), dont j'ai utilisé de nombreux éléments dans les notes ci-dessous.



haut de la page page précédenteretour accueil plan du site  

lien externe signale les
liens externes

 


droits réservés de l'auteur, Dominique Césari
Page créée le 5 mars 2000, mise à jour le 4 mars 2018


Notes

 

1   " À beau dard noble but " est la devise des Sainte-James.

retour au (1)haut de la page

2   Le patronyme de Claude Baudard de Sainte-James comprend bien un "e" à Sainte. Il a été déformé en Saint-James pour la folie.

Le père de Claude était Georges Baudard de Sainte-Gemmes, qui avait pris ce nom des terres de Sainte-Gemmes sur les bords de Loire qu'il avait acquises (confirmation de baron de Sainte-Gemmes en 1755, transformé en Sainte-James pour son fils Claude). Il s'appelait auparavant Georges Baudard de Vaudésir, du nom d'un lieu-dit où la famille avait fait bâtir un château. Le père, Georges Baudard, avait déjà acquis en 1753 la charge de Trésorier général des Colonies. C'est dire que le fils, Claude Baudard, ne s'était pas fait seul. Il avait repris la charge et la fortune de son père, lui même issu d'un milieu plus qu'aisé. Mais le fils augmenta considérablement la fortune dont il avait hérité en accédant en 1771 à la charge de Trésorier général de la Marine, une des plus rémunératrices de France, ainsi que par des opérations de commerce maritime et des investissements industriels, en particulier dans les mines. Il ne négligea pas les investissements aux Antilles : son nom se retrouve dans le rhum Saint-James !

On ne peut retraduire en quelques notes l'ensemble des détails; la charge de Trésorier général de la marine fut jointe à celle de Trésorier général des Colonies, puis disjointe. Claude Baudard se trouva donc à un moment Trésorier général de la Marine et des Colonies.   D'autre part, l'ajout de noms de fiefs au patronyme traduisait l'accès à l'aristocratie via une charge anoblissante, qui devait se concrétiser par l'acquisition d'un fief support du titre.   Les plantations Saint-James se trouvaient dans la partie française de Saint-Domingue, qui se libéra pour devenir Haïti. Le nom a été repris en Martinique pour les plantations Saint-James actuelles, mais sans relation avec les Baudard : en 1882, Paulin Lambert, négociant marseillais visant un marché métropolitain, voulut donner un caractère distingué à son rhum avec la dénomination de Saint-James, évidemment plus flatteuse que celle de plantation du "Trou Vaillant", dont il fit l'acquisition par la suite.

Une fois encore on constate l'inexactitude de notices superficielles reproduites l'une sur l'autre. En revanche, dans son Recueil d'architecture civile, Krafft écrivait bien Sainte-James. D. Ozanam également (voir la note 6 ci-dessous).

retour au (2)haut de la page

3  Baudard de Sainte-James était au sommet de la fortune ... mais cela ne lui suffisait pas pour être reconnu. Il fallait qu'il fît quelque chose d'extraordinaire. Ce fut la Folie.

Si Baudard enviait la haute noblesse, l'inverse est vrai : le comte d'Artois enrageait de ne pas avoir plus de moyens. Baudard était d'ailleurs son créancier. Le comte d'Artois était très dépensier et ne trouvait pas son frère le Roi suffisamment généreux (il disait : « Il n'est pas roi de France et de Navarre mais roi de France et avare »). Aussi d'Artois se plaignait de son impécuniosité (toute relative) auprès de Louis XVI : « Sire, il faudrait que vous me fassiez Trésorier de votre Marine, pour que je puisse rivaliser avec mon voisin » ou « je voudrais bien faire passer chez moi un petit bras du ruisseau d'or qui sort du rocher de mon voisin ». Cette jalousie ne contribua pas peu à faire enfoncer Baudard (qui aurait pu sortir plus dignement de sa faillite) quand l'occasion s'en présenta. D'après les carnets de Thomas Blaikie (op. cit.), le comte d'Artois aurait dit à Bélanger, déjà chargé de la Folie Saint-James : « Ruinez-le ! » en parlant de Claude Baudard.

retour au (3)haut de la page

4   C'est là que vient l'instruction fameuse qu'aurait donnée Baudard de Sainte-James à Bélanger : « de faire ce qu'il voulait pourvu que ce fut cher ». Le trait a été rapporté dans les "Mémoires secrets" de Bachaumont, il est repris d'ouvrage en ouvrage. Sa parfaite authenticité n'est pas acquise, Bélanger étant suspect de quelque rancœur vis à vis de ses commanditaires (Baudard comme le Comte d'Artois ou Laborde de Méréville). L'instruction aurait été de « dépenser sans compter ».

De même le prince de Ligne écrivit de la Folie Saint-James que « l'endroit serait fort beau s'il ne l'était pas tant ». Phrase assassine, inspirée par la rivalité refoulée en mépris de la haute noblesse vis à vis de la nouvelle classe des financiers. En poursuivant son jugement, le prince reconnaît toutefois la qualité des lieux :
« Près de Neuilly, il y a un jardin qui serait fort beau s'il ne l'était pas tant. Avec 400 000 francs de moins, M. de St. James auroit mieux réussi.
Trop de fabriques et de rapprochemens lui font du tort : mais on peut lui pardonner en faveur du goût qui, malgré cela, regne dans ses ouvrages.
»  Coup d'œil, p194.


Krafft, architecte besogneux, est particulièrement conscient du rôle qu'a joué la munificence de Claude Baudard pour aboutir à la naissance d'un chef d'œuvre. Krafft admire Bélanger, mais en conclusion de sa présentation de la folie, il établit les mérites : "si les Bélanger sont rares, les Baudard de Sainte-James le sont plus encore".

retour au (4)haut de la page

5  L'arrière de la grotte servait de salle de bains .. mais pas seulement. Garnie d'automates et munie de divans, c'était aussi un endroit où le maître des lieux pouvait goûter aux pâmoisons des visiteuses. De la même façon, l'examen attentif de la coupe de la colonne détruite du Désert de Retz montre un boudoir dont la disposition permet plus qu'un honnête repos. Le Comte d'Artois, en jeune libertin, avait fait aménager Bagatelle pour ses soupers : un jeu de miroirs et un décor de peintures murales licencieuses, qu'il fit recouvrir de compositions anodines à son retour d'exil. Et le pavillon "Confidence" de Drottningholm, permettant aux convives royaux de souper hors la vue des serviteurs, autorisait les mêmes fins. Ce siècle savait vivre dans le plaisir !

retour au (5)haut de la page

6  Les auteurs disent généralement " des affaires troubles ". Dans son étude, M. Philippe Baudard de Fontaine a réuni les éléments historiques montrant que la faillite de Claude Baudard résulte de la concomitance de déficits étrangers à sa volonté venant de deux horizons, et d'un cadre général d'opération ne distinguant pas sa fortune personnelle des comptes de la Marine. Mais l'exercice même du métier y poussait fortement car les difficultés financières du pays ne permettaient pas au récipiendaire de ces charges de trésoriers de respecter les règles un peu sclérosées ayant cours, et, en toute connaissance de cause, les autorités agréaient des titulaires acceptant d'y passer outre pour réussir à fournir les fonds attendus d'eux.
Les déficits qui asphyxièrent Claude Baudard découlèrent de l'impasse de sa Compagnie Française de Commerce du Nord (destinée, à l'instigation du pouvoir, qui entre temps abandonna cette politique, à concurrencer le commerce hollandais en Baltique), et de dépenses abusives du ministre de la Marine, qu'il avait été contraint de couvrir. En 1780 Baudard avait déjà perdu provisoirement sa charge pour l'émission de billets à terme, expédient prohibé auquel il avait du recourir dans des conditions analogues.

Il eut donc le tort d'accorder une trop grande confiance aux promesses de responsables politiques et, sur le plan de la technique financière, de se trouver trop peu liquide, pour avoir immobilisé la majeure partie de son patrimoine en biens fonciers.   La liquidation fut conduite par une commission du Conseil, qui le spolia par une réalisation hâtive, à bas prix, de ses actifs fonciers. Nos tribunaux de commerce actuels n'innovent pas dans leurs pratiques. Le déficit, du montant colossal de 20 millions de livres, fut reporté principalement sur le Trésor Royal, mais des particuliers furent ruinés.
Bien plus tard, ses héritiers firent reconnaître le préjudice subi, mais n'acceptèrent pas un dédommagement de plus de 10 millions ! l'affaire s'enlisa et ils ne reçurent rien.

Voir : Denise OZANAM : C. Baudard de Sainte-James, Trésorier général de la Marine et brasseur d'affaires (1738-1787), Droz, Genève, 1969 - ISBN 9-782600-044875 - les 50 dernières pages sont consacrées à sa faillite.

retour au (6)haut de la page

7  Baudard se déclara lui-même en faillite et fut emprisonné à sa demande quelques semaines pour présenter sa situation. Libéré, il mourut subitement chez son fils, à l'âge de 49 ans, sans que les causes de son décès soient clairement établies : épuisement moral ou même suicide ?

retour au (7)haut de la page

8  Les Choiseul-Praslin achetèrent la folie 262 000 livres. Elle avait coûté au moins 10 millions, peut être 14 ! Il est vrai que les affaires allaient mal.

retour au 8)haut de la page

 

la Folie à Neuilly

 

Parc de la folie actuelExtension actuelle

Parc de la folie sous BaudardExtension maximum du domaine


 

Cliquer sur le plan pour le voir en 480x900 (80 K)


 
retour à la descriptionhaut de la page