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Le Colisée de Lille ou aussi : Colysée. historique . sources et liens |
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Pour ce parc disparu, j'affiche des vues anciennes, puisqu'il est impossible d'en témoigner par des photographies actuelles. Ces vues proviennent du portail Europeana . Elles y sont signalées avec les droits des institutions d'origine; aussi, leur reproduction commerciale ne serait pas possible.
Charles de Rohan (1715-1787), dit le maréchal de Soubise , fit une enviable carrière militaire puis civile. Il fut ministre de Louis XV et de Louis XVI; il avait été nommé dès 1751 gouverneur de la Flandre et du Hainault et bailli de Lille. En 1785, l'affaire du collier de la Reine (1) le mit en retrait mais il resta gouverneur des Flandres. Dès 1777 il avait fait acheter une propriété à la périphérie de Lille, le long de la Deûle, au pont de Canteleu, sur la commune de Lambersart; elle fut agrandie par l'acquisition d'un autre terrain. En 1786 il lança la réalisation d'un parc de divertissement sur cet emplacement. Il constitua une société à cet effet et les jeunes architectes lillois Verly et Biarez furent chargés de l'ouvrage. La société acquit les terrains à son nom. Ce parc prit le nom de Colisée, ou Colisée royal. On l'appela aussi communément "Pont de Canteleu". Le Colisée ouvrit en juin 1787; le maréchal de Soubise ne survécut pas à ce projet, puisqu'il décéda à Paris le 1er juillet.
La mode était aux parcs d'attractions. Le modèle en était le Vauxhall de Londres, ouvert primitivement vers 1660 puis transformé, ainsi que le Ranelagh de Liverpool ouvert en 1742. C'était avant tout des salles de fête dont la décoration visait à un effet somptueux, qu'on illuminait la nuit et qu'entouraient des jardins où l'on trouvait des attractions telles que le jeu de bagues. Tout un chacun pouvait y être admis en payant l'entrée et toute la société les fréquentait, sauf les impécunieux.
La première distraction pratiquée dans ces parcs était la danse, dans la salle de fête, ou à ses abords à la belle saison. Les rafraîchissements, les attractions, la promenade dans les jardins permettaient d'alterner les plaisirs avec la salle de fête. Le Colisée de Paris ouvrit en 1771 dans les bosquets des Champs Élysées. Sa salle de fête avait pour prolongement un parterre ovale entouré d'une double colonnade. On y croisait les personnalités les plus en vue, qui recoupent l'histoire des parcs à fabriques. Après la Révolution deux parcs à fabriques de Paris intra-muros furent d'ailleurs transformés en jardins d'attractions : la folie Beaujon (près de l'Étoile) et la folie Boutin (à la barrière de Clichy), qui prit le nom de Tivoli, d'après la villa de l'empereur Hadrien aux environs de Rome. Ce nom fut repris pour d'autres jardins et plus tard pour le Tivoli ouvert en 1843 à Copenhague, qui est le célèbre modèle ultérieur et qui fonctionne toujours. Aussi ne dit-on plus guère aujourd'hui Tivoli que pour un parc d'attractions, tandis que Vauxhall et Colisée perdurent dans les noms de salles de cinéma.
Le Colisée de Lille avait l'originalité que sa salle de fête s'inscrivait au cœur d'un parc à fabriques, particularité remarquable pour notre sujet.
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En l'absence de plan du jardin réalisé, il est particulièrement difficile de préciser sa disposition. La Deûle se divisait en bras dans ce creux de plaine contournant la citadelle de Lille au nord-ouest. L'observation des plans du 17ème au 18ème siècle montre clairement qu'on laissait la rivière divaguer dans cet espace, utilisé pour des pâtures et jardins maraîchers et partiellement marécageux, ce qui était tout bénéfice pour la défense de la place. L'emplacement a été bouleversé par l'aménagement en espace urbain à la fin du 19ème siècle, qui repose sur la canalisation rectiligne de la Deûle pour éliminer le noyage lors des crues - voir toutefois une tentative de localisation approximative sur un plan de 1892, qui permet de le situer dans Lambersart mais s'éloigne de l'état en 1787.
Le jardin se développait le long de la Deûle, autour de l'élément central du jardin, la grotte à colonnes, à laquelle était adossée une butte portant a salle des fêtes. De cette butte rayonnaient des sentiers et des ponts permettant de se rendre dans les différentes parties du jardin, chacune ornée d'un ou plusieurs éléments : un temple de l'amour, un temple de Hébé, des statues, un kiosque chinois. Un peu plus loin une métairie arrangée faisait laiterie, complétant la touche champêtre et offrant des dégustations. Le "Prospectus" précise que l'entrée coûtait trente sous; il ne fallait porter ni blouse ni casquette (vêtement typique des gens modestes).
François Verly (1760-1822), architecte lillois, élève de l'école de Lille, puis de l'Académie royale de Paris (les "Beaux-Arts"), où il concourt pour le Prix de Rome, sans le remporter. Aurait été le condisciple de Percier et Fontaine, selon la tradition familiale, mais ce n'est pas prouvé. Organise les fêtes données à Paris en 1785 pour la naissance du Dauphin. Revenu l'année suivante à Lille, on lui confie la construction du Colisée au pont de Canteleu. Il est chargé de proposer en 1792 un décor pour la fête de la Raison, qui eût été le plus grandiose de province, mais n'est pas réalisé. Participe à la reconstruction de Lille après les dégâts du siège de 1792, puis à la fondation du musée de Lille. Il quitte Lille en 1801 et poursuit une carrière de premier plan en Belgique, à Anvers, Gand et Bruxelles. Il est à noter que F. Verly était franc-maçon (2). Il se trouvait donc bien à même de mettre en relation le décor du Colisée avec la symbolique utilisée dans les parcs à fabriques. D'ailleurs, le maréchal de Soubise, s'il n'était pas franc-maçon (2bis), en était entouré et on peut penser qu'il était favorable à un décor en ce sens.
La carrière de Biarez est moins connue : il fut l'adjoint d'Alexandre Lenoir pour la conservation des monuments, sous le rapport de l'art, en 1790. on trouve encore sa trace en 1796 dans la suite de cette fonction. On le voit à cette même époque signer un projet de bourse de commerce à Paris.
Verly et Biarez, encore jeunes architectes, firent régulièrement équipe : en 1786, ils proposèrent un projet pour la reconstruction du séminaire d'Arras, détruit par un incendie, puis en 1788 un projet de reconstruction et d'agrandissement des prisons en Artois. Puis leur trajectoire se sépara.
Le "Prospectus" cite in fine brièvement, sans même leurs prénoms, "Joinnot et Vallin, peintres de Paris ... (leur partie) ne mérite pas moins des éloges". Leur rôle est évidemment moindre que celui des architectes mais la richesse du décor était importante pour l'attractivité du parc. Le second pourrait être Jacques-Antoine Vallin (1760 - après 1831) dont la manière correspond aux effets d'usage.
L'essentiel des aménagements furent détruits dès 1792, pour dégager les abords de la citadelle à l'approche des Autrichiens qui allaient assiéger Lille. À la fin du 19ème siècle, dans un environnement resté champêtre, la "campagne" de Mme Groulois, le petit temple de l'Amour et les grands arbres composaient encore un tableau charmant. En 1890, le gendre de celle-ci, Edmond Ory-Groulois (3), répondait à L. Quarré-Reybourbon, qui se renseignait sur le Colisée : Des merveilleux jardins dont François Watteau nous a retracé les perspectives riantes et dépeint les jolies promenades, il ne reste plus aujourd'hui que quelques beaux arbres, l'île bordée de peupliers et le petit temple antique dont je vous envoie la photographie.
Selon une note manuscrite en marge d'une autre vue photographique, un ouragan détruisit le temple en 1896. L'aménagement urbain et la canalisation de la Deûle n'ont laissé sur place pour souvenirs que le nom des rues.
C'est un lieu mal documenté. L. Quarré-Reybourbon rapporte qu'Hippolyte Verly, en lui transmettant trois gravures d'après les aquarelles de son grand-oncle, lui a benoîtement avoué avoir procédé à "un énorme holocauste de vieux plans et papiers de famille" en débarrassant la demeure familiale ... documents uniques, vu la brièveté de l'existence du parc.
Notes