Ermenonville

tour de la Belle Gabrielle

 

La tour de la Belle
Gabrielle


aquarelle de ma main d'après une gravure d'époque - j'espère que vous en excuserez la naïveté, c'est le seul moyen de vous restituer l'aspect de la tour


 

Cette tour est dite de la Belle Gabrielle, car Henri IV y aurait rejoint Gabrielle d'Estrées, qu'il avait conquise. Ce n'est qu'une légende, ayant pour origine le fait que le domaine appartenait à l'époque à Dominique de Vic, fidèle et vaillant compagnon d'armes du Béarnais. Henri IV a pu venir à Ermenonville, mais pas y rejoindre la Belle Gabrielle. C'était toutefois une authentique tour gothique. Quelques constructions postérieures, dont la maison du batelier, y étaient adossées.

Du temps du marquis de Girardin, la tour fut l'une des plus fameuses fabriques du domaine. Des appartements y étaient aménagés. Le décor célébrait la mémoire du royal séjour amoureux (qui était tenu pour véridique à l'époque), en particulier un buste d'Henri IV et plusieurs de ces inscriptions sentencieuses au tour poétique dont le marquis avait la manie. (1)

La tour existait encore vers 1850, quand Gérard de Nerval, qui avait passé son enfance à Mortefontaine (distant de moins de 10 km), revenait sur les lieux en pélerinage pour y chercher l'inspiration de "Sylvie" (2). La tour se dégrada pendant les périodes de délaissement qui suivirent. Le prince Léon Radziwill, en maître du domaine soucieux des vestiges concernant Jean-Jacques Rousseau, restaura les fabriques vers 1910. Il fit raser la tour, trop endommagée, et construire sur l'emplacement un kiosque dans le style de la fin 19ème. Les visiteurs privilégiés pouvant accéder à la grande rivière ne peuvent manquer le kiosque sur la rive droite, élément marquant du paysage, et l' "île", minuscule mais très élégante avec son bouquet d'arbres, qui se trouve en face du kiosque.

 

 


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droits réservés de l'auteur, Dominique Césari
Dernière mise à jour: samedi 16 mars 2002


Notes
1   On ne peut douter que la foule d'inscriptions gravées des Leasowes inclina le marquis à sa manie de les multiplier à Ermenonville. Les textes de William Shenstone sont d'une fraicheur et d'une qualité poétique indiscutables. Pour dire le vrai, il n'en est pas toujours de même à Ermenonville, et c'est une édulcoration de mon sentiment, surtout quand les inscriptions ne sont pas de simples citations d'auteurs mais des contributions du marquis.

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2  
Passage de Sylvie consacré à Ermenonville

Je n'avais nulle envie de dormir. J'allai à Montagny pour revoir la maison de mon oncle. Une grande tristesse me gagna dès que j'en entrevis la façade jaune et les contrevents verts. Tout semblait dans le même état qu'autrefois ; seulement il fallut aller chez le fermier pour avoir la clef de la porte. Une fois les volets ouverts, je revis avec attendrissement les vieux meubles conservés dans le même état et qu'on frottait de temps en temps, la haute armoire de noyer, deux tableaux flamands qu'on disait l'ouvrage d'un ancien peintre, notre aïeul ; de grandes estampes d'après Boucher, et toute une série encadrée de gravures de l'Emile et de la Nouvelle Héloïse, par Moreau ; sur la table, un chien empaillé que j'avais connu vivant, ancien compagnon de mes courses dans les bois, le dernier carlin peut-être, car il appartenait à cette race perdue. " Quant au perroquet, me dit le fermier, il vit toujours ; je l'ai retiré chez moi."

Le jardin présentait un magnifique tableau de végétation sauvage. J'y reconnus, dans un angle, un jardin d'enfant que j'avais tracé jadis. J'entrai tout frémissant dans le cabinet, où se voyait encore la petite bibliothèque pleine de livres choisis, vieux amis de celui qui n'était plus, et sur le bureau quelques débris antiques trouvés dans son jardin, des vases, des médailles romaines, collection locale qui le rendait heureux. " Allons voir le perroquet", dis-je au fermier. Le perroquet demandait à déjeuner comme en ses plus beaux jours, et me regarda de cet oeil rond, bordé d'une peau chargée de rides, qui fait penser au regard expérimenté des vieillards.

Plein des idées tristes qu'amenait ce retour tardif en des lieux si aimés, je sentis le besoin de revoir Sylvie, seule figure vivante et jeune encore qui me rattachât à ce pays. Je repris la route de Loisy. C'était au milieu du jour ; tout le monde dormait, fatigué de la fête. Il me vint l'idée de me distraire par une promenade à Ermenonville, distant d'une lieue par le chemin de la forêt. C'était par un beau temps d'été. Je pris plaisir d'abord à la fraîcheur de cette route qui semble l'allée d'un parc. Les grands chênes d'un vert uniforme n'étaient variés que par les troncs blancs des bouleaux au feuillage frissonnant. Les oiseaux se taisaient, et j'entendais seulement le bruit que fait le pivert en frappant les arbres pour y creuser son nid. Un instant, je risquai de me perdre, car les poteaux dont les palettes annoncent diverses routes n'offrent plus, par endroits, que des caractères effacés. Enfin, laissant le Désert à gauche, j'arrivai au rond-point de la danse, où subsiste encore le banc des vieillards.

Tous les souvenirs de l'antiquité philosophique, ressuscités par l'ancien possesseur du domaine, me revenaient en foule devant cette réalisation pittoresque de l'Anacharsis et de l'Emile.

Lorsque je vis briller les eaux du lac à travers les branches des saules et des coudriers, je reconnus tout à fait un lieu où mon oncle, dans ses promenades, m'avait conduit bien des fois : c'est le Temple de la philosophie, que son fondateur n'a pas eu le bonheur de terminer (3). Il a la forme du temple de la sibylle Tiburtine, et, debout encore, sous l'abri d'un bouquet de pins, il étale tous ces grands noms de la pensée qui commencent par Montaigne et Descartes, et qui s'arrêtent à Rousseau. Cet édifice inachevé n'est déjà plus qu'une ruine, le lierre le festonne avec grâce, la ronce envahit les marches disjointes. Là, tout enfant, j'ai vu des fêtes où les jeunes filles vêtues de blanc venaient recevoir des prix d'étude et de sagesse. Où sont les buissons de roses qui entouraient la colline ? L'églantier et le framboisier en cachent les derniers plants, qui retournent à l'état sauvage. - Quant aux lauriers, les a-t-on coupés, comme le dit la chanson des jeunes filles qui ne veulent plus aller au bois ? Non, ces arbustes de la douce Italie ont péri sous notre ciel brumeux. Heureusement le troène de Virgile fleurit encore, comme pour appuyer la parole du maître inscrite au-dessus de la porte : Rerum cognoscere causas ! - Oui, ce temple tombe comme tant d'autres, les hommes oublieux ou fatigués se détourneront de ses abords, la nature indifférente reprendra le terrain que l'art lui disputait ; mais la soif de connaître restera éternelle, mobile de toute force et de toute activité !

Voici les peupliers de l'île, et la tombe, vide de ses cendres. O sage ! tu nous avais donné le lait des forts, et nous étions trop faibles pour qu'il pût nous profiter. Nous avons oublié tes leçons que savaient nos pères, et nous avons perdu le sens de ta parole, dernier écho des sagesses antiques. Pourtant ne désespérons pas, et, comme tu fis à ton suprême instant, tournons nos yeux vers le soleil !

J'ai revu le château, les eaux paisibles qui le bordent, la cascade qui gémit dans les roches, et cette chaussée réunissant les deux parties du village, dont quatre colombiers marquent les angles, la pelouse qui s'étend au delà comme une savane, dominée par des coteaux ombreux ; la tour de Gabrielle se reflète de loin sur les eaux d'un lac factice étoilé de fleurs éphémères ; l'écume bouillonne, l'insecte bruit... Il faut échapper à l'air perfide qui s'exhale en gagnant les grès poudreux du désert et les landes où la bruyère rose relève le vert des fougères. Que tout cela est solitaire et triste ! Le regard enchanté de Sylvie, ses courses folles, ses cris joyeux, donnaient autrefois tant de charme aux lieux que je viens de parcourir ! C'était encore une enfant sauvage, ses pieds étaient nus, sa peau hâlée, malgré son chapeau de paille, dont le large ruban flottait pêle-mêle avec ses tresses de cheveux noirs. Nous allions boire du lait à la ferme suisse, et l'on me disait : "Qu'elle est jolie, ton amoureuse, petit Parisien !"

Oh ! ce n'est pas alors qu'un paysan aurait dansé avec elle ! Elle ne dansait qu'avec moi, une fois par an, à la fête de l'arc.

Gérard de Nerval - Sylvie      

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3   Gérard de Nerval n'a visiblement pas connaissance de l'intention démonstrative du marquis de Girardin laissant le temple inachevé.